Comment preserver et favoriser les benefices nutritionnels et phytotherapeutiques des Brassiccacees
- Leslie
- 29 mars 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 avr. 2020
Les Brassicacées regroupent une grande variété d’espèces végétales (ex : Brocolis, Colza, Choux, Moutarde) exploitées à travers le monde pour leurs qualités nutritionnelles et phytothérapeutiques. Elles présentent des teneurs élevées en métabolites primaires, tels que les acides aminés, les carbohydrates et les pigments, qui constituent un premier système de défense contre les atteintes extérieures. Une partie de ces constituants est à l’origine de métabolites secondaires, comme les glucosinolates ou les phytoalexines, qui assurent une protection plus spécifique, complétée par l’action de polyphénols et de stéroïdes. Ces substances confèrent aux plantes des propriétés anti-oxydantes, anti-tumorales et anti-microbiennes, mais certaines d’entre elles ont aussi des qualités anti-nutritionnelles. De nombreux paramètres génétiques et environnementaux (ex : composition du sol, ensoleillement, herbivores, pathogènes) affectent le métabolome des Brassicacées au cours de leur croissance. En condition de stress biotique, elles émettent des molécules signal (ex : acide salicylique, acide jasmonique) capables de moduler et d’adapter la biosynthèse de métabolites de défense aux différents types de bioagresseurs. Après la récolte, la composition est encore susceptible de varier en fonction des conditions de stockage et de traitement thermique. Base sur les travaux de Jahangir et al, cet article recense les principaux stress abiotiques et les relations multitrophiques pouvant affecter la composition des Brassicacées.
Contexte
Les Brassicacées sont très riches en composés anti-oxydation et anti-carcinogénèse. Elles sont aussi étudiées dans le cadre de la prévention du risque cardiovasculaire. Certains de leurs constituants présentent des propriétés anti-nutritionnelles. Cependant, ces plantes occupent une place importante dans l’alimentation de la population mondiale, ce qui fait d’elles un modèle de choix en agronomie. Les plantes cultivées sont généralement moins riches en métabolites d’intérêt que les plantes sauvages. Or, les premières sont les plus consommées. Au vu des enjeux de santé publique liés à la production de Brassicacées, il apparaît primordial de s’appliquer à produire des plantes saines, exemptes de produits phytosanitaires et d’excellente qualité nutritionnelle, afin de maximiser leurs effets bénéfiques. L’objectif est de comprendre les modalités permettant un enrichissement naturel des plantes, sans impact délétère sur leur goût, leur odeur et leur toxicologie. Ces études s’inscrivent également dans la perspective de conditions environnementales extrêmes dues au réchauffement climatique.
Mécanismes de défenses des Brassicacées
Les substances impliquées dans les mécanismes de défenses des Brassicacées sont issues des métabolismes primaire et secondaire. Certains métabolites primaires, comme les pigments et les vitamines, agissent comme antioxydants. D’autres, comme les acides aminés, jouent un rôle dans la détoxification des métaux lourds. Les glucosinolates, métabolites secondaires dérivés d’acides aminés, sont toxiques pour les pathogènes qui les ingèrent. Les phytoalexines sont des molécules de défense à activité antifongique et antibactérienne ; chez les Brassicacées, leur structure dérive principalement du tryptophane. Les composés phénoliques ont des propriétés antioxydantes agissant en relais du système primaire de détoxification assuré par l’acide ascorbique. Leurs teneurs augmentent en cas d’attaque bactérienne ou herbivore. Enfin, les stéroïdes, dérivés des stérols membranaires, confèrent une résistance à large spectre aux stress biotiques et abiotiques, tels que hautes et basses températures, sécheresse, excès sel, attaque pathogène et exposition aux métaux lourds.
Altération des bienfaits des plantes
De nombreux paramètres peuvent nuire aux bienfaits des Brassicacées. D’une part, leur richesse en facteurs anti-nutritionnels peut être un frein à leur consommation ; sulphoxyde de S-méthylcystéine, acide érucique, polyphénols et glucosinolates affectent le goût des Brassicacées, mais aussi les processus métaboliques de leurs consommateurs. D’autre part, la dégradation rapide des métabolites après la récolte affecte leur biodisponibilité. Certaines conditions peuvent activer prématurément l’hydrolyse des glucosinolates, inhiber l’enzyme myrosinase ou bloquer la réorganisation de leurs aglycones en composés actifs. La congélation à -85°C donne de bons résultats sur les teneurs en phénols mais la fracture cellulaire qu’elle induit entraîne l’activation des glucosinolates. La conservation sous atmosphère modifiée élevée en CO2 tend à faire diminuer les teneurs en glucosinolates. Un stockage à température ambiante semble donc être le plus indiqué pour préserver la composition des Brassicacées. La consommation de plantes crues ou faiblement chauffées est préférable pour la conservation de leurs métabolites.
Glucosinolates : molécules clés
Les glucosinolates, composants à l’origine de l’odeur et du goût caractéristiques des Brassicacées, sont très recherchés pour leurs propriétés anti-cancer et cardio-protectrices. Ils sont présents dans les appareils végétatif et racinaire des plantes. Selon les acides aminés impliqués dans leur biosynthèse, les glucosinolates peuvent être de nature aliphatique, aromatique ou indolique. La proportion de chaque type de glucosinolate et la sensibilité induite chez les bioagresseurs, varient d’une espèce de Brassicacées à l’autre. Les glucosinolates indoliques sont aussi précurseurs de phytoalexines et d’auxines. En cas d’attaque pathogène, les Brassicacées émettent des molécules signal stimulant la biosynhèse de glucosinolates. Lorsque l’intégrité cellulaire du tissu végétal est rompue (ex : morsure, congélation, ingestion), les glucosinolates entrent en contact avec l’enzyme myrosinase qui les hydrolyse en composés intermédiaires instables, qui se changent ensuite en molécules de défense actives (ex : isothiocyanates, nitriles). Ces substances agissent aussi comme répulsif chimique pour les agresseurs alentours.
Rôle des molécules signal
Sous stress biotique, les Brassicacées émettent des molécules signal (ex : acide jasmonique, éthylène), pouvant être biosynthétisées à distance du point d’agression et stimuler les plants voisins. Ces substances agissent au niveau des parties aériennes des plantes et auto-régulent la production des métabolites secondaires de défense (ex : glucosinolates, phytoalexines). Le type d’agresseur détermine le type de molécule émis. Deux signaux moléculaires favorisant la synthèse d’un même métabolite, n’agissent pas forcément sur les mêmes organes. Il est possible d’injecter des molécules signal dans des organes non-producteurs, pour augmenter leur niveau de défense. Cette technique est aussi utilisée pour contourner les résistances de certains pathogènes. Cependant, en cas d’agressions multiples, des molécules antagonistes peuvent être produites ; l’injection d’une substance signal peut donc altérer la résistance induite par une autre. Les Brassicacées diffusent également d’autres composés volatiles (ex : terpènes, isothiocyanates) capables de repousser leurs agresseurs et d’attirer les prédateurs de ceux-ci.
Impact des conditions culturales
La composition chimique des Brassicacées est influencée par leurs conditions culturales. Les Brassicacées accumulent les minéraux du sol, y compris les métaux lourds. La qualité du sol est donc un paramètre important à maîtriser. Maintenir un apport faible en azote et augmenter l’apport en soufre, facilite la production de glucosinolates et de polyphénols. Un stress hydrique et un excès de salinité augmentent les teneurs en métabolites primaires et en glucosinolates. Les radiations UV et les températures élevées stimulent la biosynthèse de caroténoïdes et de métabolites secondaires. Permettre le développement d’une épidémie bénigne, ou localisée sur des organes qui ne seront pas collectés, aide à enrichir naturellement la plante en produits de défense. L’injection contrôlée de molécules signal est un moyen de soutenir ce processus. La quantité et la nature des composants varient selon les organes et leurs stades de croissance, influençant le choix du moment de la récolte.
Discussion
La richesse des Brassicacées en composés actifs serait représentative de la multitude de mécanismes d’actions mis en œuvre par leurs prédateurs. La connaissance précise de ces phénomènes permettra à l’agronome de développer des alternatives aux produits phytosanitaires, autorisant l’enrichissement naturel des Brassicacées en composés actifs. Ceci est possible notamment par l’utilisation de molécules signal. Le principal frein à ces techniques est l’augmentation inéluctable en composés anti-nutritionnels dans les organes consommés. Il est possible de supprimer certains de ces composés par sélection (ex : glucosinolates, acide érucique) ou traitement thermique (ex : acide phytique, myrosinase). Mais ceci revient également à diminuer les teneurs en substances de défense. Des études organoleptiques et toxicologiques seront donc nécessaires pour garantir l’acceptation de ces super-aliments. Par ailleurs, les études menées en conditions extrêmes (ex : hautes températures, stress hydrique) laissent présager l’impact certain du réchauffement climatique sur le métabolome des plantes.
Conclusion
Ce document pose les bases de la recherche appliquée sur l’enrichissement naturel des Brassicacées en molécules de défense. Il est clair que des études ultérieures seront nécessaires pour clarifier les interactions de ces composants les uns avec les autres. L’étude des interactions multitrophiques sous-terraines des Brassicacées donnerait une vision plus globale des processus écologiques mis en œuvre. Idéalement, toutes les substances actives, anti-nutritionnelles et potentiellement toxiques, devraient faire l’objet d’investigations. Il paraît néanmoins difficile de pouvoir se concentrer sur l’enrichissement d’une molécule aux dépens d’une autre, tellement les paramètres environnementaux peuvent varier. Ensuite, la préservation des bienfaits des plantes après la récolte devrait passer par l’éducation de tous les intervenants de la filière et du consommateur. Enfin, connaître l’impact des produits phytosanitaires sur la composition des plantes cultivées en méthode conventionnelle serait intéressant car, à l’instar des agressions environnementales, ces produits ont aussi probablement un impact sur la composition des plantes.
Rédigé par Leslie Colin, Université de Bordeaux, collège des Sciences et Technologies, 2019.
Référence :
Healthy and unhealthy plants : The effect of stress on the metabolism of Brassicacea, M. Jahangir et al, Environmental and Experimental Botany, Volume 67, Issue 1, November 2009, Pages 23-33.
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